Ma première impression, vis-à-vis de cette bande dessinée, a été très positive.
Belles images, au trait délicat et efficace, forte documentation, personnages attachants et réalistes, scénario de type réaliste et non aventurier, où le défi des émotions est bien relevé. OK, nickel.
Mais cette bande dessinée retraçant la vie d'un personnage réel, et fonctionnant en plus selon le principe du récit à une personne qui écoute et écrit, j'ai eu la curiosité de chercher la biographie en question. Puisque c'est un texte du XIX° siècle, il est dans le domaine public, et s'il a été traduit rapidement, cette traduction l'est aussi. Partant de quoi, j'ai fouillé un peu le web et trouvé le texte en PDF. J'aurais préféré en Epub, mais c'était mieux que rien.
Mon enthousiasme pour la BD a réduit assez vite, quand j'ai commencé à lire.
Non qu'elle m'ait alors semblé mauvaise, mais j'ai ressenti comme une sorte d'arnaque qu'on me présente un scénario qui ne correspond pas au récit autobiographique du personnage ! Qu'on s'inspire de très près d'un ou plusieurs personnages réels pour fabriquer un personnage de BD, cela ne me choque pas, mais dans ce cas, j'aimerais mieux qu'on ne me fasse pas croire qu'il s'agit d'un seul.
En lisant la BD, j'ai parfois eu l'impression qu'un truc ou un autre m'échappait, et mis cela sur le compte du format BD, car l'adaptation implique forcément de réduire considérablement l'oeuvre originale. En lisant la biographie, j'ai en quelque sorte comblé les trous. En quelque sorte, seulement, car les "trous" n'en étaient pas toujours. Certains étaient des contradictions entre les éléments venus de la biographie de John Tanner et ceux pris ailleurs.
Ce méga-grief étant exposé, je vais essayer de m'en tenir à la BD elle-même, au moins pour quelques lignes...
L'élément documentaire reste là et n'a guère de chances d'en bouger.
L'aspect réaliste émotionnel, par contre, me laisse perplexe, car les modifications ne me semblent pas améliorer le scénario. La biographie de John Tanner aurait suffi à une BD palpitante et même potentiellement à une série ! J'ai l'impression que le but de ces changements est de présenter un ensemble plus conflictuel et douloureux. Autrement dit : dramatiser le récit.
Là, j'aime très moyennement ! A quoi bon changer le matériel pour produire quelque chose de plus "réaliste" au sens littéraire, c'est à dire faisant ressortir les douleurs et passions ? Il y en avait déjà bien assez dans le texte ! Peut-être même qu'il y en a trop, dans ledit texte, et qu'une adaptation fidèle aurait, paradoxalement, semblé moins réaliste que le scénario obtenu par modification. Sans compter deux ou trois passages, dans le PDF, où je me suis demandé si John Tanner n'avait pas "un peu gonflé" son récit, ou bien réorienté ceci ou cela, c'est à dire produit quelque chose de partiellement fictif.
Il n'en reste pas moins un petit paradoxe.
Bon... là je me dis qu'en fait, c'est peut-être mieux, puisque dans ce cas, les changements viseraient à cibler un lectorat plus "roman historique humain" et moins "aventure". Je me le dis, mais retombe tout de même sur la critque de départ : pourquoi avoir conservé le nom de John Tanner ? Sûrement pour happer (précisément) ledit public friant de vraie historicité et non de "fiction historique".
Mouais... bon... OK... ou bien pas OK. C'est de la stratégie éditoriale, ça ! Et comme je suis une sélénite grognon, je trouve cela un peu déloyal.
Au bout du compte, je réalise qu'en lisant la biographie, j'ai perdu toute motivation à chroniquer la BD, ce qui est fort con, pour une banale histoire de titre.
Essayons de revenir au sujet de départ, c'est à dire à l'abum de bande dessinée...
On peut l'offrir à un ado de n'importe quel âge, pourvu qu'il ne soit pas un hyper-accro aux histoire pleines de baston et s'intéresse à l'environnement "wild west à l'époque des trappeurs". Le peu d'action, d'évidence volontaire, risquerait de décourager les esprits avides d'aventuure. Comme c'est assez sérieux d'ambiance et comporte des situations potentiellement angoissantes, j'ai envie de le classer "à partir de 13 ans", mais en fait, ce n'est pas pire (au contraire) que certains "Alix" que j'ai lu à dix ans. A ceci près que l'aventure était plus évidente dans Alix, il est vrai. C'est important, l'aventure, pour capter l'attention d'un public jeunesse ! Certes, il n'y a pas que cet "appât" qui soit adapté à cette tranche de public, mais les préoccupations évoquées dans la BD sont très différentes de celles des pré-ados de notre époque, ce qui oriente vers un public avec au moins un pied dans l'âge adulte.
L'aventure n'est pas vraiment absente, pourtant ! Elle est juste d'un genre totalement opposé à l'image qu'on se fait du western. Ce n'est pas épique, mais juste humain. L'aventure, c'est la découverte d'autrui et de soi, en quelque sorte... mais seulement en quelque sorte parce que ce n'est pas tellement mis en évidence. Pas désagréable, loin de là, et comme le graphisme est très beau, je me suis laissée porter tranquillement.
A la dernière page de ce tome 1, je pige enfin qu'il s'agit simplement de nous raconter comment l'enfant blanc est devenu indien presque à part entière (j'avoue avoir un peu eu eu le cerveau lent)... et à cette même dernière page, je me rends compte que le mec qui raconte son histoire est brun alors que l'adolescent que j'ai suivi durant tout l'album est blond ! Ce qui me conduit à m'interroger sur son âge et à me rendre compte que la BD a réussi à me perdre dans les années et que je n'en ai aucune idée. La faute, sans doute, à la micro-touche de romance quand il quitte sa première famille indienne. Touche qui provient de la biographie, où l'attachement me parait simplement fraternel. Quoi qu'il en soit, cette micro-touche m'a fait paraître John plus âgé qu'il n'est en fait.
Un détail ? Certes... mais pas si petit que ça, car il perturbe un peu la compréhension globale.
Un peu seulement, parce que beaucoup de lecteurs ne chercheront pas à éclaircir tous les petits trous apparents. Beaucoup s'en tiendront à "j'ai dû louper un truc"....
Bref : un bon moment de lecture, agréable et instructif, mais que je n'aurais pas dû tenter d'approfondir afin d'en garder la saveur... à moins qu'au contraire, cela ait été une très bonne chose, la curiosité étant fort instructive !
https://fr.wikisource.org/wiki/M%C3%A9moires_de_John_Tanner/Texte_entier