[texte] faire connaissance

En revenant à la cabane, ils trouvèrent Makkapitew assis devant la porte, occupé à détailler le contenu du carquois de Baptiste. Qu’il soit premier levé n’avait rien d’étonnant, mais contre toute attente, Élie l’était également, et s’occupait de rallumer le feu. Quand Baptiste déposa les gourdes, il demanda timidement l’autorisation d’en prendre une et en versa le contenu dans un pot pour la faire chauffer avec quelques poignées d’avoine.

« Tu as déjà chassé, gamin ? »

La réponse ne vint que sous forme d’un mouvement de tête. Négative, en apparence.

La douceur de l’air au petit matin s’était déjà changée en tiédeur annonçant que la journée serait chaude, pourtant Élie avait conservé la tunique de peau sous laquelle on entrevoyait une chemise de grosse toile écrue. Cela masquait un peu sa morphologie gracile, et peut-être était-ce l’intention.

Tandis qu’il préparait du porridge, les mouvements de ses mains fines et agiles évoquaient celles d’une femme. C’était à la fois agréable et perturbant. Agréable parce que produisant des relents d’enfance, avec maman occupées à cuisiner près du feu, souvent en compagnie de sa sœur, parfois avec une voisine venue chercher un peu de poisson salé ou apporter un petit sac de haricots. Perturbant parce que ce n’était pas une femme, mais un jeune homme, et que pourtant, l’impression de féminité s’ancrait de plus en plus fort, à travers un alchimique mélange de vulnérabilité et de douceur. C’était à la fois très apaisant et légèrement inquiétant. Aucune séduction ne s’y mêlait. Juste le sentiment d’une différence native, profonde et toutefois complémentaire. Comme Émeline, la grande sœur attentive et soigneuse. Mais plus fragile, plus silencieux et moins assuré. La même allure de roseau souple. La même précision d’hirondelle. Ce garçon avait sûrement des qualités pour faire un bon artisan, mais ici, il lui aurait fallu un plus plus d’épaisseur dans les bras.

Pour sécher la sueur produite en ramenant les gourdes, Baptiste ôta sa chemise avant de s’asseoir sur une pierre. Peut-être aussi pour exhiber sa musculature peu commune qui suffisait souvent à clouer le bec aux personnes tentées de lui chercher des poux ou le prendre pour un larbin. Guillaume n’était pas du genre freluquet, et il savait manier une arme, mais c’était un guetteur médiocre et il ne serait peut-être pas meilleur à la chasse. Makkapitew était un habile commerçant et un excellent chasseur, mais l’âge commençait à le gagner. N’était-il pas frère de la grand-mère de Askook ? Malgré la stupide frayeur dont il s’était rendu coupable, le jeune Indien semblait une bonne recrue pour l’expédition. Les deux frangins blonds, par contre, ne donnaient pas l’impression de connaître les animaux autres que domestiqués. Si l’aîné montrait la même attitude envers ses équipiers qu’auprès du cadet, mieux valait lui faire comprendre tout de suite qu’il n’était pas le plus fort.

Tobias fit son apparition au moment où son petit frère remplissait trois bols, et juste à temps pour exiger que les autres soient versés aussi. Sans émettre un son de plus, ni dire bonjour, il promena un regard circulaire sur le campement, puis scruta les trois hommes assis autour du foyer, et replongea dans l’ombre de la cabane pour réveiller Guillaume et Askook. Alban tapota la joue de Baptiste du bec, puis émit un petit croassement interrogatif auquel le trappeur répondit par quelques caresses sur le crâne et le bec.

« Il t’inquiète, Joli Sombre ? Et moi, il m’énerve. Mais on va devoir le supporter. »

Extrait d'un de mes romans en cours d'écriture