Ah... la jeunesse, d'nos jours !
Un jour, pendant un petit trajet en voiture pour aller promener et/ou faire des courses, ma nièce m'a demandé pourquoi je fais mes habits moi-même, ajoutant l'hypothèse que ce soit moins cher. Sa mère a immédiatement répondu que non, ça n'est pas moins cher, avant de se demi-reprendre, avec "enfin... je ne sais pas, mais ça m'étonnerait". J'ai confirmé. Compte tenu du prix de vêtements de nos jours, c'est clairement plus cher.
Elle a pris un air perplexe, en demandant à nouveau pourquoi. J'ai répondu que je couds avant tout pour me distraire, parce que j'aime ça. Ma belle-sœur a ajouté que c'est comme elle quand elle fait du tricot. A quoi la fillette a dit qu'elle, elle ne fait pas des habits, alors ça se voit (que c'est du loisir), même si parfois c'est des cadeaux.
En fait, je fais très peu d'habits. J'ai deux jupes, toutes deux produites de mes petites mains, sur patron très simple, mais issu de ma propre imagination. Je couds surtout des petits sacs à coulisse, en joli tissu, qui remplacent les paquets cadeau. Avant 2018, je m'occupais les doigts avec de la broderie. Il y a longtemps, je me suis fait une robe médiévale et un kimono de méditation, mais c'était exceptionnel. Et parfois, je reprise mes fringues...
J'ai ajouté que, comme je décide moi-même de la forme et choisis aussi le tissu, ça me fait des habits que personne d'autre ne porte, et qui sont "rien qu'à moi". Giga sourire de ma nièce. Commentaire de ma belle-sœur que comme j'ai un style bien marqué, je ne trouverais pas facilement en magasin ce qui me plait. Je réponds qu'en plus, dans les magasins, la qualité n'est pas toujours au rendez-vous. Début de commentaire pour dire que peut-être moi aussi... et changement d'avis pour dire qu'en effet, comme je fais attention au tissu et à la couture...
Là-dessus, j'ai expliqué que dans les années 80, enfance de notre génération, les habits coûtaient beaucoup plus cher que maintenant. Nouvelle perplexité de ma nièce. J'entreprends de parler des prix de production pour les entreprises, de préférence en termes simples (pas facile), mais avant que j'en arrive aux usines du bout du monde, ma belle-sœur change de sujet.
Ça m'aurait bien plu, d'initier ma nièce aux questions d'éthique et de société de consommation. J'aime à penser que mon frère aimerait également qu'elle en entende un peu parler. Douze ans (maintenant treize), c'est largement assez âgé pour comprendre ces histoires.
Mon frère et moi (surtout moi) en avons entendu parler dès six ou sept ans... parce que la production par des enfants de notre âge, dans un pays très loin, où ils n'ont pas le droit de s'amuser avec les jouets qu'ils fabriquent, ça donne un autre regard sur les poupées et autres gadgets. Moyen commode de refuser et décourager de futures demandes. Évidemment, une fois le concept acquis, nous n'en avons plus entendu parler pendant longtemps, mais au moins, nous savions que produire dans des pays où les employés sont peu payés et où même les enfants travaillent, c'est ça qui permet d'avoir chez nous plein de trucs pas chers (et de mauvaise qualité). Comme ma grand-mère était moins regardante, j'ai quand même accumulé plein de jouets de cette catégorie...
De temps en temps, mon frère lui lâche qu'elle est influencée par la société de consommation.... mais ne va pas plus loin que ce terme un peu compliqué qui mériterait de lui être expliqué. Il a le chic pour lui sortir des mots d'adultes sans se demander en parlant si elle va comprendre.
Fatalement (là, elle a treize ans), ma nièce m'a, un autre jour, demandé ce qu'est la société de consommation. Ma belle-sœur a dit que c'était trop compliqué à son âge. Discussion terminée, même si mon frère a glissé brièvement qu'il faudra quand même, un jour, lui expliquer ça. ...mais se reprenant pour ajouter que c'est peut-être encore un peu trop. Ma belle-sœur est formelle : ce sont des discussions d'adultes.
Trop compliqué et triste pour une enfant, je suppose. Elle appartient à cette catégorie de personnes qui veulent une "enfance conte de fées". Je n'ai rien contre, en soi. C'est une idée sympathique et généreuse. Mais je suis du genre à penser fermement que l'enfer est pavé de bonnes intentions.
J'ai un peu de mal à comprendre qu'on écarte ce genre de sujets des conversations avec une adolescente. Parce que, oui, même si ce.n'est encore que le début, treize ans , c'est l'adolescence. A cet âge, on quitte déjà l'enfance, même si c'est un coup de vieux pour les adultes qui regardent ça. C'est cinq ans avant la majorité. Deux ans avant lycée, espèce d'antichambre avant d'être adulte. Enfin bon.... c'est pas à moi de décider.
En même temps... avec mon frère qui n'a pas souvent le réflexe pédagogique d'adapter le niveau de langage, c'est vrai que les trucs compliqués restent compliqués, ce qui ne peut pas donner l'habitude de les aborder.
Pareil pour l'écologie. Cette petite fille déjà plus si petite parle protection de la planète, mais n'imagine pas que ça puisse passer par réduire sa consommation de jouets, peluches et gadgets rigolos. Ni n'a d'idée concrète sur ce qui serait à faire dans ce domaine. Le jour ou je lui ai demandé si elle savait connaissait des choses à faire pour aider la planète, puis expliqué un peu le plastique qui est partout. J'ai vite compris qu'elle n'était pas prête à l'assimiler. Non à cause de son âge, mais parce qu'en effet, elle est sous l'influence de la société de consommation. C'est pourtant une enfant intelligente et curieuse ! Une autre fois, je lui ai demandé si elle savait pourquoi, quand elle était petite, je ne lui ai jamais offert de jouets en plastique, mais toujours en bois. Réponse évidente : elle ne savait pas, et ne s'était même jamais rendu compte. Mais était intéressée de savoir. Fatalement, ma belle-sœur s'est gâtée de mettre en doute que ce soit vraiment écologique. J'ai donc admis que c'est surtout symbolique.
En fait, (presque) jamais de plastique dans les jouets achetés en prévision des anniversaires et fêtes de fin d'année, mais il y en avait souvent dans les trucs achetés en se baladant ensemble. Et en effet, la question de l'écologie et de l'éthique ne se résume pas au matériau principal employé.
Un jour où l'autre, il faudra qu'elle sache tout ça. La surprotéger en écartant d'elle ce genre de préoccupations ne sert à rien. Enfin bon... Tatie en chapeau de cowboy et bottes western a le droit d'être un peu fantasque, ça fait partie de son style...
Quasi pareil le jour où je lui ai dit que c'est une bonne chose, qu'elle aime jardiner et faire de la couture, parce qu'apprendre ce genre de choses lui sera utile plus tard. Elle s'est étonnée : puisqu'elle, elle n'a pas envie (ou pas encore) de se faire des habits... pourquoi ? J'ai dit qu'au moins, elle pouvait les réparer. Encore une fois, elle a eu du mal à comprendre. Pourquoi réparer au lieu de changer ? J'ai admis qu'à son âge, comme on grandit. Ça n'est pas forcément utile. De toute façon, il faudra changer quand même. Mais ensuite ? Potentielle ouverture vers une discussion sur l'éthique de production, mais je n'y suis pas entrée. Par contre, j'ai dit que c'est un que peut-être, les habits redeviendront chers, comme quand nous on était gosses. A nouveau, pas compris. Mais admis que oui on ne sait jamais (elle est bien,, cette petite !). j'ai glissé qu'elle devrait peut-être ne pas trop prendre l'habitude des tutos de bricolage sur Youtube, mais en lire aussi qui soient écrits et dessinés, des fois qu'un jour il faille réduire notre consommation d'internet. Là encore, c'est impossible à imaginer.
Devant des éléments de nos vieux costumes de Mardi Gras, ou des photos, elle est stupéfaite qu'ils aient été entièrement fabriqués par sa grand-mère. Et quand on lui explique qu'à l'époque personne n'achetait ses costumes de déguisement, c'est encore un truc qu'elle peine à imaginer.
Le fait même qu'internet ait pu ne pas exister quand ses parents avaient son âge relève de l'incroyable. Dans le même mouvement que la consommation d'internet, j'ai ajouté celle des transports en avion. Étonnement aussi, parce que c'est bien pratique, les avions, et on fait plein de choses avec.
Ah... ma nostalgie quand je vais acheter des t-shirt "taille 20 ans" chez Petit Bateau ! Les pubs de mon enfance, avec le slogan "à quoi ça sert d'avoir des habits, si on ne peut rien faire dedans ?", pour exprimer l'alliance du solide et du pratique...
Elle est super totalement partante sur l'idée qu'il faut prendre soin de la planète qu'on a beaucoup trop abîmée... mais parfaitement inconsciente des changements à envisager pour y parvenir. J'ai hélas l'impression qu'elle est loin d'être un cas unique et que beaucoup d'enfants de son âge (la majorité?) sont dans le même cas.
Au temps des Marches pour le Climat, j'ai eu affaire à des jeunes militants 100% partisans des réunions écolos en ligne, parce que c'est plus facile que se donner rendez-vous dans un café disposant d'une salle "spéciale concerts et/ou repas associatifs". Et puis, c'est pour la bonne cause. Bonne cause ou pas, une discussion en ligne avec des tas de participants sur un seul fil de discussion... c'est peut-être facile, mais pas efficace. J'ai eu l'occasion de le voir, autour d'un recueil de nouvelles comptant 15 auteurs. Je me souviens d'un qui est devenu assez âcre envers la vieille que je suis, quand j'ai essayé d'insister en disant qu'une discussion en ligne, il faut impérativement se trouver dans l'écran au bon moment, pendant parfois plusieurs heures. On n'a qu'à y être et puis c'est tout ! Quand on veut, on peut ! Mais ce petit gars, je voyais sur un coin de mon écran FB qu'il jouait à tel ou tel jeu vidéo. Ces mêmes jeunes, à partir d'un certain jour de mars 2020, ont totalement cessé de parler écologie sur leur Facebook. D'autres ont continué (heureusement), mais parmi mes contacts, j'ai vu bien plus de trentenaires et quarantenaires s'obstiner dans cette voie, voire s'y ancrer encore plus fort.
Loin de moi l'idée de taper sur les jeunes de la "génération climat". Je veux juste modérer un peu cette notion qui a, un temps, été exprimée particulièrement for. Là aussi "un temps", parce qu'un beau jour, les médias ont changé leur centre de préoccupation principal et n'y sont pas encore revenu, du moins pas de façon aussi puissante, et de très loin.
Ben oui... les réflexes de révolte de l'adolescence et du début de l'âge adulte, c'est beau, mais il y a aussi les réflexes socio-quotidiens acquis depuis la petite enfance, et que cette phase de révolte n'efface pas forcément.
Toutes les générations ont leurs phase de révolte et leurs sujets pour s'offusquer. Encore faut-il que ça dure, et les acquis de l'enfance peuvent tout aussi bien reprendre le dessus ensuite. Surtout que le contexte environnant s'y prête généralement, la société n'ayant jamais une population dominante de type adolescent. C'est triste à dire, mais en atteignant le "plein âge adulte", vers les 25 ans, la flamme diminue, faute de temps à y consacrer. Ensuite, métier, famille, etc. effacent petit à petit les velléités de changer le Monde.
Peut-être bien qu'en fait, c'est à la trentaine que se mesure la tendance aux remises en question de ceci ou cela ! A l'âge des gosses, du trajet pour aller au boulot, des repas qui ne peuvent plus être toujours sur le pouce... et des petits (ou gros) trucs et gadgets qui facilitent la vie et qu'il faut choisir d'employer ou ne pas employer. Le moment où on a l'air bizarre si on ne suit pas la modernité.
Pour ma génération, le plus-plus super-gros truc facilitant la vie, ça a été Internet...
Quand j'avais 25-30 ans, on parlait avec gravité (mais pas dans tous les milieux), de la fracture numérique qu'il fallait absolument empêcher de se former parce que les pauvres souffriraient horriblement d'en être frappés et que ça creuserait des fossés entre les classes sociales.
Une fracture contre laquelle il y a eu des "bornes" dans les mairies, postes et médiathèques, mais il était bien plus pratique d'aller au cybercafé (ou en plus, les ordinateurs étaient nettement meilleurs)... mais en fait, cette fracture s'est heurtée à une baisse du prix des box-ADSL puis au développement des téléphones portables ressemblant à des ordinateurs ne miniature.
Les enfants actuels ont de grandes chances que leur âge adulte soit contraint, pour une fois, à accepter des changements qui n'auront pas l'air de faciliter l'existence ordinaire. Dire adieu à plein de petits trucs qui ont simplifié la vie quotidienne. Autant qu'ils apprennent dès maintenant.
La fracture dont on pourrait leur parler dans dix ans, est-ce que ce sera celle des potagers, entre gens ayant une maison et habitants d'appartements ?
En tous cas... le réveil sera brutal, quand elle sortira du conte de fées... un moment qui se rapproche inéluctablement.