extrait = Madame la Pluie...

 Après la cérémonie, il serait libre comme l'air tant qu'il ne quitterait pas le quartier. Il ne dépendrait plus que du chef et des aînés du clan pour ses actes quotidiens et de son chef d'équipe pour ses missions d'approvisionnement. Jusque là, il était soumis à l'autorité de sa mère. Ainsi étaient les règles dendroniennes. Le père ne s'en mêlerait s'il y était convié et le chef que si l'enfant était blessé.

Comme un orage énorme et suraigu dont les coups de tonnerre se répercutaient entre les immeubles en ruine, les cris de Nell-Ann résonnèrent longuement. Féroce, elle déchirait sa voix alternativement sur son fils et contre son mari, qui acceptaient l'un et l'autre la tempête. Puis elle s'écroula, sanglotant des larmes tellement torrentielles qu'ils aurait tous deux préféré qu'elle continue de crier. Hors-la-Ville, elle serait allée s'asseoir près de l'eau pour invoquer les esprits de les protéger contre Furie-Destruction, et Kenrao songea tristement à la rivière de son village, où il avait plusieurs fois vu sa mère gémir des supplications aussi vaines que ferventes.
D'ici quelques jours, la mère de Larry perdrait ses prérogatives. Les averses de ses yeux deviendraient muettes. Peut-être encore plus destructrices dans son cœur.

« Va pleuvoir… » lâcha le chef un peu après que sa femme, épuisée, ait trouvé une apparence de calme dans le sommeil.

Dame-Pluie était une alliée. Elle plaquait au sol un peu de pollution, nourrissait les plantes soignées par les femmes, remplissait les trous où on pêche les grenouilles, et gênait beaucoup les drones. A l'arrivée de la saison des pluies, le chef réunissait toujours les anciens pour organiser les équipes de ravitaillement. Cela avait eu lieu deux jours plus tôt. Larry avait sûrement été compté dans un groupe, mais on ne le lui en parlerait qu'après sa cérémonie du Couteau.

Avant que les pluies deviennent vraiment fortes, Kenrao quitterait le camp pour plusieurs semaines. Il irait parler aux chefs d'autres villages des Quartiers Morts, ou bien se battre dans le Pays des Machines, ou même voyagerait Hors-la-Ville. Comme il avait annoncé « revenir vite », la destination était sans doute le Pays des Machines, et il resterait absent quinze ou vingt jours.
Dame-Pluie pouvait aussi être dangereuse. Tous les ans, des effondrements avaient lieu. À l'approche des premiers crachins, toutes les familles vérifiaient les crevasses de l'immeuble dont elles squattaient le rez-de-chaussée ou le premier étage, et les hommes recensaient les endroits où il ne faudrait surtout pas se rendre. Tous les ans, des pans de béton se fendaient en deux comme sous un coup de hache, et il y avait parfois des victimes. De cela aussi, le chef et les anciens parlaient, quand ils se réunissaient.

À la saison des pluies, les enfants perdaient le droit de s'éloigner et jouer sans surveillance dans les ruines.

Brutale, lourde, dense, ininterrompue… Dame-Pluie arriva au milieu de la nuit. Larry se réveilla en l'entendant marteler les murs. Il s'assit respectueusement, pour saluer sa venue en chuchotant un chant d'hommage, puis se recoucha en espérant qu'elle ne tombe pas trop fort le jour de la fête. Qu'elle soit juste une petite grinchée douce aux visages, maternelle et de bon augure.

Employé pour le 89° concours d'extraits du forum Jeunes Ecrivains.
(juillet 2020)

Thème "L'eau dans tous ses états".

Roman "Errances Galactiques".

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